La rémunération dans les structures à impact : un insoluble serpent de mer ?
- Sébastien Kfoury
- 18 avr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 avr.
”On doit repenser notre politique de rémunération car on sent qu’on ne va pas pouvoir augmenter tout le monde chaque année”
“J’ai envie de lancer un chantier rémunération mais ça me fait peur car c’est un gros sujet…Et on peut rapidement en faire une usine à gaz”.
Au cours de nos accompagnements, ces remarques reviennent souvent : nous avons donc décidé de les aborder lors d’un petit déjeuner avec les DRH de structures engagées comme makesense, L214, Too Good To Go. Voici ce qu’on y a appris !
Au-delà de la question financière, la rémunération cristallise des enjeux émotionnels…et peut devenir un levier politique
Avant de se demander comment rémunérer, on s’est demandé ce qu’on rémunérait, et pourquoi rémunérer le travail.
D’ailleurs, qu’est-ce que le travail ? Philo magazine retrace des étymologies variées, qui ont pu susciter différents ancrages culturels :
son origine est incertaine en français, mais la rumeur urbaine l’attribue au latin tripalium et le rattache à un instrument de torture.
En anglais, “work” veut dire se tourner vers, se donner une direction… on dit “it works” pour dire que ça fonctionne.
En allemand, “beruf” veut dire métier, et amène l’idée d’un travail vocationnel, d’un élément identitaire.
Pourquoi rémunérer le travail ?
La micro-économie, dans une approche capitaliste et productiviste, nous donne deux raisons distinctes pour rémunérer le travail :
Le travail est un effort et une perte de loisir, donc satisfaction individuelle, qui doit être compensée par une rémunération permettant la consommation (qui, toujours dans cette logique délétère, est source de satisfaction)
Le travail a une utilité sociale, au sens de la production de richesses : la rémunération est une forme de récompense ou reconnaissance
La rémunération aurait donc pour rôle d’encourager les individus à s’engager dans des tâches individuelles pénibles mais créatrices de valeur, et donc socialement utiles.
Or, selon Dominique Méda, la controverse sur les “métiers essentiels” dans le contexte de la crise sanitaire a révélé que les emplois des plus “socialement utiles” étaient souvent les plus précaires et les moins bien payés. C’est le cas de certains métiers dans l’ESS.
Le sujet de la rémunération est donc éminemment politique : il concrétise une autre conception du travail, qui ne se définisse pas par la production de richesses économiques - ni de souffrance.
Pas si simple, avec des ressources limitées…
« Dis-moi comment tu paies, et je te dirai qui tu es »
Dans une structure à impact, la politique de rémunération dépasse largement la sphère financière : elle reflète l’identité et les priorités stratégiques de l’organisation. C’est pourquoi, avant de rentrer dans les chiffres, il est essentiel de clarifier ses fondamentaux (vision, valeurs internes, politique RH), pour définir les grandes lignes d’une politique de rémunération (transparence, variable…).
Chez makesense, Antoine Menard, DRH, met en avant un modèle basé sur la transparence, l'équité et l’autodétermination des salaires. Chaque personne commence avec une base commune de 25 000 € brut annuel, complétée par des grilles évaluant la contribution au collectif, le niveau d'autonomie et l’ancienneté chez makesense. « C’est une question dont on peut et dont on doit parler, dans un cadre clair et collectif »
Cette approche responsabilise les personnes tout en alignant la rémunération sur les valeurs de gouvernance partagée. « Notre politique doit être assez simple pour pouvoir être expliquée autour d’un verre avec des copains en 30 secondes », résume Antoine. D’ailleurs, ils en ont fait un article pour l’expliciter et en parler !
À l’inverse, L214 a adopté un modèle de salaire unique : 2 000 € net par mois pour chaque salarié. Ce choix, encore peu commun, vise à reconnaître l’apport égal de chaque personne, quel que soit son rôle, et à supprimer les inégalités salariales, notamment liées au genre. « Ce modèle nous permet de nous concentrer sur ce qui compte : les projets professionnels des salariés et nos objectifs communs - sans se heurter aux frustrations liées aux différences de rémunération. » explique David Debarnot.
Croissance et professionnalisation : s’adapter à des profils et des besoins qui évoluent
La rémunération doit aussi s’adapter aux défis d’un changement d’échelle, surtout s’il est rapide. Si, au début de l’aventure, la passion pour la mission peut attirer et retenir les membres de l’équipe, cela ne peut suffire dans la durée. Il devient vite nécessaire de professionnaliser la politique salariale (par exemple comparer les salaires aux moyennes du marché pour s’en rapprocher, ou réduire proactivement les écarts liés au genre), et de penser des mécanismes incitatifs en accord avec ses valeurs (comme des primes collectives).
makesense, de son côté, a également vécu un « choc de professionnalisation » en 2019 en augmentant ses rémunérations pour répondre au coût de la vie à Paris. Cette décision s’est accompagnée d’une montée en qualité des services proposés pour garantir la pérennité économique du modèle.
Pour rappel, le Mouvement Impact France propose que l’écart de salaire maximal entre le plus haut et le plus bas salaire de l’entreprise soit limité et modulé en fonction de la taille de l’entreprise pour ne pas être de plus de 1 à 10 pour une PME ou micro-entreprise, 1 à 15 pour une ETI, et 1 à 20 pour une grande entreprise.
Reconnaissance : au-delà de l’argent
Si la rémunération est un levier de motivation, elle ne suffit pas à répondre aux attentes des collaborateurs. Par ailleurs, beaucoup d’organisations voient les limites d’une politique de rémunération qui ne se base que sur l’augmentation salariale, puisqu’elles sont elles-mêmes de plus en plus limitées financièrement.
Les leviers immatériels sont donc incontournables, et parfois plus importants encore que le salaire : flexibilité et conditions de travail, occasions de travailler sur des projets qui nous tiennent à coeur, relations authentiques et épanouissantes, reconnaissance pour le travail accompli…
Chez L214, les avantages sociaux jouent également un rôle clé dans la satisfaction des salarié·e·s : six semaines de congés payés, dix jours de congés supplémentaires et une mutuelle prise en charge à 100 %. Ces éléments renforcent le bien-être sans augmenter directement les coûts salariaux.
Pour makesense, la reconnaissance passe aussi par une prime collective basée sur les bénéfices annuels, répartie de manière égale entre tous, apprenti·e·s et dirigeant·e·s inclus·e·s au prorata du temps passé en contrat dans l’année. « Cela permet de valoriser le résultat collectif, tout en évitant les tensions et les calculs d’apothicaire liés aux primes individuelles », explique Antoine Menard.
Plus que les leviers immatériels de rémunération, le projet Aristote mené chez Google par Julia Rodovsky (chercheuse à Harvard et analyste au sein du service RH de Google) a permis de déterminer 5 « ingrédients » communs aux équipes les plus épanouies et efficaces.
Assurez-vous donc d’avoir une politique de rémunération qui soutienne chacun de ces ingrédients !

Par où commencer ? Des méthodes pour vous outiller
Si votre structure n’a pas encore de politique de rémunération
Voici les étapes clés pour la construire efficacement :
Réunion de cadrage : Rassembler les parties prenantes (direction, RH, managers, représentants du personnel) pour poser les bases de la réflexion. Identifier
les objectifs de la politique de rémunération : équité, attractivité, reconnaissance
les contraintes budgétaires : combien représente notre masse salariale ? jusqu’à où peut-on aller ? quelles sont nos prévisions financières sur les 2 prochaines années ?
On vous recommande d’impliquer le CSE (organe trop souvent délaissé) et les managers au bon niveau (test de la grille, consultation des équipes, etc.), cela vous permettra de faire de ce projet une vraie transformation profonde de l’organisation, et qui se passe bien :)
Inspiration d’autres structures :
Welcome To The Jungle - 10 idées pour faire de sa politique salariale un atout marque employeur
L’évolution des salariés — Les “tours of duty” par Reid Hoffman
Le temps de travail — La semaine de 4 jours chez Sillages
Benchmark des salaires dans l’ESS
Définition des principes structurants avant de plonger tête baissée :
reprenez votre raison d’être et vision (quelle vision du monde vous défendez ?) et vos valeurs internes (ou ce qui définit votre culture interne) e
allez sonder d’autres organisations et vos équipes sur les questions ci-dessous :
Quel niveau de transparence des salaires ?
Quelle amplitude des écarts salariaux ? Une idée du salaire médian ?
Que pense-t-on des rémunérations fixes ? et variables ?
Que pense-t-on des primes individuelles ? et collectives ?
Quels sont les mécanismes de rémunération à intégrer ou non (mode de décision des salaires, philosophie, fixe/variable, etc.).
En repartant de vos valeurs, comment se traduisent-elles dans votre politique de rémunération ?
Quelles sont les principales catégories de métier dans l’entreprise ? Peuvent-elles toutes prétendre à la même fourchette de salaires ?
Que veut-on valoriser au sein de l’organisation ? Toujours en repartant de votre culture et votre vision du monde :
listez ce que vous souhaitez valoriser au sein de votre organisation (ancienneté dans l’organisation, Compétences / Expertises / AutonomiePerformance / réalisation, niveau de diplôme, implication dans la construction de l’organisation, management, …)
définissez ce qui doit être rémunéré par le salaire et ce qui doit être valorisé autrement
Construction de la grille salariale :
Poser clairement votre équation salariale (via l’étape 3)
Pour chaque élément de l’équation, définissez et décrivez les niveaux équivalents (ex: niveau 1 à 3 sur l’autonomie) en vous assurant qu’ils correspondent à une réalité organisationnelle (à date ou à venir)
Suivez les reco de makesense pour finaliser la grille salariale ;)
Définition des processus d’évolution : Structurer les mécanismes de revalorisation (quelles modalités et conditions ? quelle fréquence ? qui demande ? qui décide ?)
Intégration des avantages non salariaux : Compléter l’offre de rémunération avec des éléments comme les congés supplémentaires, la formation, le télétravail, la prise en charge des repas ou du transport.
Mise en place d’un suivi et d’une évaluation : Vérifier régulièrement l’adéquation de la politique salariale avec les attentes de vos équipes et les évolutions du marché.
Communication : rendre tout ça lisible et visible en structurant les outils à disposition des équipes et en outillant bien les managers et en faisant vos premier·es ambassadeur·rices (cf nos formations au management)
Si vous avez déjà une politique de rémunération
Deux enjeux émergent souvent :
Ajuster la grille salariale, en gérant notamment les écarts de salaire, les enjeux d’équité et son évolution (versus attentes des équipes et évolutions de marché).
Optimiser les avantages non salariaux, en embarquant votre CSE :
Identifier les avantages existants et leur perception par les équipes.
Prioriser les évolutions possibles avec une approche coût/bénéfice.
Valoriser économiquement l’ensemble du package (salaire + avantages).
Vous voulez en parler davantage ou vous faire accompagner sur le sujet ? Contactez-nous ! :) 👉 equipe@sillages.io
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